Le conteur et l’éclaireur : Franc Desmeth dans la peau de Kessel
Quand on parle de liberté à tout prix, peu d’hommes l’ont incarnée avec autant de souffle et d’audace que Joseph Kessel. Écrivain-grand reporter, aviateur, résistant, voyageur : un homme qui a vu, vécu, témoigné.
Sa curiosité était immense. Joseph Kessel, écrivain fasciné par « la beauté du monde et l’amitié des hommes », a vécu une existence foisonnante Véritable témoin de son époque, il n’avait nul pareil pour raconter les hommes et leurs tourments
La vie exceptionnelle de l’auteur du Lion méritait bien d’être racontée sur scène. C’est chose faite grâce à ce seul en scène réjouissant mené par l’inspiré Franck Desmedt au Théâtre Rive Gauche.
Joseph Kessel, écrivain fasciné par « la beauté du monde et l’amitié des hommes », a vécu une existence foisonnante. De quoi inspirer Mathieu Rannou, auteur et metteur en scène, qui signe Kessel, la liberté à tout prix, pièce biographique aux ellipses bien vues. Avec ce nouveau seul en scène, à la fois grave et drôle, Franck Desmedt, comédien et directeur du théâtre de la Huchette, poursuit sa série de portraits des grands témoins du XXe siècle, après La Promesse de l’aube de Romain Gary, nommé aux Molières en 2022. Avec énergie et malice, il relate à la première personne un parcours hors normes et imite joliment les personnages gravitant autour de l’auteur du Lion. 
De quoi inspirer Mathieu Rannou qui, avec une adresse folle et évènements choisis de sa vie chargée, dessine le portrait d’un homme qui
Mathieu Rannou tranche dans l’épaisseur de cette vie chargée, et il ne se trompe pas. Se dessine ainsi le portrait d’un homme qui explorait le monde et l’âme humaine avec « une soif de vivre (et de boire) inextinguible », comme il l’écrit. Son style est imprégné de celui de Kessel au point que l’on ne voit pas ce qui est de l’un et de l’autre. C’est d’une adresse admirable. Construit dans l’esprit narratif qui a nourri Le Lion, Les Cavaliers et L’Équipage, le récit passionne de bout en bout.
Né en Argentine en 1898 dans une famille juive qui a fui les persécutions, Joseph Kessel passe son enfance en Russie avant que les siens ne s’installent en France lorsqu’il avait 10 ans. Il y poursuit ses études à Paris, où très tôt, l’écriture et l’aventure s’imposent à lui. À seulement vingt-cinq ans, il prend part à la Première Guerre mondiale comme aviateur — une expérience fondatrice qui marquera durablement son regard sur le monde et nourrira son premier roman.
Une fois la guerre terminée, Kessel devient grand reporter. Il sillonne la planète, de l’Irlande à l’Afghanistan, de l’Afrique aux confins de l’Europe, observant les peuples, leurs luttes et leurs espoirs. Chacun de ses voyages devient matière à récit : ses articles et ses romans portent la poussière des routes et la vérité des visages croisés.
, Joseph Kessel est un homme pour qui la liberté n’était pas négociable. Dans sa vie. Dans ses choix. Dans ses amours. Cette liberté, ce goût insensé pour l’aventure et les voyages, au point de se sentir trop à l’étroit dans une seule vie, aura fait de lui un écrivain prolifique (près de 80 romans !) et un homme intrépide, témoin des grands évènements du 20ème siècle.
Mais Kessel n’est pas seulement un témoin. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, il s’engage pleinement dans la Résistance et co-écrit, avec son neveu Maurice Druon, les paroles du “Chant des partisans”, bientôt élevé au rang d’hymne national officieux de la liberté.
Après 1945, il reprend sa vie d’écrivain et de voyageur, poursuivant sa quête de sens et d’humanité avec une ardeur intact
Ce soir, au Théâtre Actuel La Bruyère, Franck Desmedt redonne souffle à cet aventurier de la parole. Seul sur scène, il raconte, il respire, il incarne. En quelques gestes, il fait revivre un monde : celui des guerres, des voyages, des visages croisés au bord du chaos. 
Ce n’est pas un hommage figé, c’est un élan, un partage.  Et dès les premières minutes, on comprend que ce Kessel-là, au-delà de la légende, nous parle encore — à voix basse, mais droit au cœur.
Un seul en scène habité et lumineux.
C’est un homme pour qui la liberté n’était pas négociable. Dans sa vie. Dans ses choix. Dans ses amours. Cette liberté, fidélité, gout insensé pour l’aventure et les voyages, se sentir trop à l’étroit dans une vie. Comment faire pour vivre beaucoup plus que ça ? Ecrivain très prolifique : 80 romans.
Talent hors du commun de Frank Desmedt qui a cette capacité de rendre tout familier et en même temps de dessiner les phrases à travers une diction impeccable, les corps. Atelier d’un écrivain de la 1ère phrase à la dernière.
Il y a d’abord une voix. Grave, posée, vive. Cette voix de Franck Desmedt m’a cueillie, alors même que la pénombre de la salle n’était pas tout à fait levée et que les premières notes de musique débutaient.
elle ne raconte pas, elle fait voir. En quelques phrases, on passe de la Russie à l’Irlande, des champs de bataille à un bar de reporters. La mise en scène de Matthieu Renou épouse cette sobriété : un homme, une voix, un drap, et les lumières précises de Laurent Béal qui découpent les lieux dans l’imaginaire. Les ombres, les reflets, les halos deviennent paysages.
Kessel n’est pas ici un monument, mais un homme de chair et de doute. On perçoit ses fêlures : le suicide de son frère Lazare, l’alcool, la peur, la foi, l’épuisement, la mort de sa mère. La pièce les aborde sans appuyer. Il les traverse, comme on traverse un souvenir qu’on respecte trop pour le commenter. J’ai aimé la convocation subtile de ces évènements, autant de drames personnels et familiaux qui auraient pu le briser. Il se s’appuiera, en son rebond, de sa capacité à explorer et s’émerveiller de la vie pour ne pas sombrer et se laisser envahir par ses démons.
Le moment de l’Irlande m’a bouleversée.
Un peuple se recueille, les voix s’élèvent. Le drap devient drapeau, voile, nuage.
Le chant des partisans surgit, d’abord timide, puis plein, presque viscéral.
Desmedt ne joue pas : il vit l’instant. On entend le souffle de l’histoire dans sa respiration.
Ce silence qui suit, lourd et doux à la fois, dit tout ce que les mots ne peuvent plus dire.
Un peu plus tard, il évoque la mort de sa mère.
La voix se baisse, le rythme ralentit. Le drap devient linceul.
Laurent Béal éclaire ce geste d’une lumière tamisée, chaude, presque tendre.
On n’est plus au théâtre : on est dans la chambre d’un souvenir.
Le temps se suspend, le public retient sa respiration.
Ce qui impressionne, c’est cette façon qu’a Franck Desmedt de voir les images avant de les dire.
On sent qu’il les projette devant lui ; il nous y emmène avec quelques gestes, un regard, un changement de ton. Pas d’effets, pas de cabotinage : juste la précision d’un homme qui comprend son texte et le monde qu’il porte.
Derrière Kessel, il y a l’idée de la liberté.
Celle de dire, de voyager, de comprendre.
Cette liberté-là, Desmedt la fait entendre dans chaque inflexion.
Elle n’est pas grandiloquente ; elle est lucide, parfois douloureuse.
Elle interroge : est-ce qu’on vit encore ainsi ? Est-ce qu’on ose encore regarder le monde sans filtres, aller vers les autres, s’exposer ?
En sortant, j’ai pensé à cette phrase de Kessel : “Témoigner est un devoir de liberté.”
C’est ce que ce spectacle rappelle : la liberté a un prix — celui du regard, de la solitude, du courage.
Mais c’est aussi ce qui nous relie, ce qui fait de nous des êtres vivants.
Au Théâtre Actuel La Bruyère, Franck Desmedt et Mathieu Rannou signent bien plus qu’un hommage. Ils redonnent souffle à un idéal devenu rare.
Un théâtre sans décor mais plein du monde.
Une parole simple qui éclaire. 
Si vous vous demandez si cela vaut le détour : oui. Parce que ce spectacle ne se contente pas de rappeler un nom — il déclenche une conversation avec soi-même.
Crédits
De : Mathieu RANNOU
Mise en scène : Mathieu RANNOU
Décors : Franck DESMEDT
Costumes : Virginie H
Musique : Mathieu RANNOU
Lumière : Laurent BEAL
Avec :
Franck DESMEDT
